10 mars 2019

La « street food » made in Taïwan !!

Ici des calamars dorent sur la braise, là on croque dans des « gua bao ». De Taipei à Tainan, dans des marchés aux étals foisonnants, l’île vibre jour et nuit pour la cuisine de rue.



Les nombreux marchés nocturnes de Taipei font de Taïwan un paradis de la « street food ».
Les nombreux marchés nocturnes de Taipei font de Taïwan un paradis de la « street food ». Yuri Smityuk / TASS / Getty Images

Les Taïwanais font parfois remarquer que leur île possède la forme allongée et arrondie d’une patate douce. Comme celles, cuites au four ou à l’étuvée, que propose un vendeur à la sauvette le long de l’escalier sans fin (960 marches !) qui conduit au sommet du mont Eléphant, cette colline surplombant spectaculairement Taipei. En dégustant la chair fondante et sucrée du tubercule, on se redit que, effectivement, ce pays est à croquer. Si, dans le TGV local, reliant, du nord au sud-ouest, la capitale de l’ancienne Formose à la cité historique de Tainan, on a vu se succéder rizières, cultures maraîchères et champs de canne à sucre, ce sont d’abord ces centres urbains qui nous ont régalés de leur profusion culinaire.
Certes, les 509 mètres de la tour 101 à Taipei ne rivalisent guère avec les skylines de Shanghaï. Et les vestiges du fort Zeelandia, la forteresse de Tainan construite au XVIIe siècle par les colons hollandais, n’ont pas le prestige de la Cité interdite. Leurs restaurants, leurs rues et leurs marchés vibrent pourtant d’une effervescence gourmande qui fait aujourd’hui de Taïwan une destination en vogue pour les « foodies » du monde entier. La richesse de la cuisine taïwanaise porte bien sûr l’empreinte de son environnement maritime, poissons et fruits de mer, fournis par quelque 200 ports de pêche, constituant la base alimentaire, associée au riz et aux légumes, de beaucoup d’îliens. Mais elle s’est surtout constituée au rythme accéléré de l’histoire bouleversant le destin des autochtones (une minorité aborigène est toujours présente sur l’île).


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Fuyant leur province originelle du nord de la Chine, pour migrer au sud-est du continent, les Hakkaont traversé en nombre le détroit de Taïwan aux XVIIe et XVIIIe siècles, pour s’installer sur les contreforts des montagnes de l’île. Demeure aujourd’hui une cuisine fortement identitaire qu’on peut déguster dans beaucoup de restaurants de Taipei, comme au Tung Hakka Cuisine, sur Minsheng East Road, dans le quartier de Zhongshan. Parmi des spécialités souvent riches et aromatiques, les papilles peuvent s’emballer sur le porc sauté au calamar séché, agrémenté de cubes de tofu et d’oignons nouveaux, ou le fameux « poulet aux trois tasses », obtenu en faisant mijoter les morceaux de volaille dans un mélange égal de sauce soja, huile de sésame et sucre (ou vin de riz), ce qui provoque une suave caramélisation.

Le ventre moelleux du milk fish

Un demi-siècle de colonisation japonaise a laissé des traces. Dans les infrastructures, les mentalités et l’alimentation (goût pour les algues, le poisson cru, les boulettes de poulpe, les beignets façon tempura…). Bien plus grand encore aura été l’impact, en 1949, de la migration de 2 millions de Chinois du continent, suivant en exil Tchang Kaï-chek et le Kuomintang, après leur défaite face au Parti communiste de Mao Zedong. Si les traumatismes furent alors nombreux, Taïwan s’enrichissait aussi des cultures et du savoir-faire culinaires de toutes les provinces de l’empire du Milieu. Pour le plus grand bonheur des gourmands.


La « beef noodle soup » est la spécialité du restaurant Lin Dong Fang, du quartier de Zhongshan, à Taipei.
La « beef noodle soup » est la spécialité du restaurant Lin Dong Fang, du quartier de Zhongshan, à Taipei. Stéphane Davet
Une des plus célèbres chaînes de restaurants du pays, Din Tai Fung, témoigne de cet héritage multiple. Lancé au début des années 1970, le premier établissement a été créé par un Chinois du Shanxi déménagé à Taipei en 1948, qui eut la bonne idée d’engager des cuisiniers de Shanghaï pour reproduire leur spécialité de xianlongbao. Aussi appelées soup dumpling, ces sortes de raviolis ronds sont emplies d’une farce riche en gelée, transformée en jus brûlant sous l’effet de la cuisson vapeur. Pour déguster ces xianlongbao au porc, aux crevettes, aux œufs de crabe ou même à la truffe, on en perce d’abord la pâte pour recueillir la « soupe », avant d’engloutir le reste, trempé dans un mélange de sauce soja, vinaigre de riz et gingembre. Slurp !
Longtemps peu consommé dans l’île, le bœuf est, de la même façon, devenu la base d’une des spécialités taïwanaises, la beef noodle soup.Importée à l’origine du Sichuan, cette soupe, ressemblant à un pot-au-feu dans le bouillon duquel on ajouterait des pâtes de blé, fait désormais l’objet de compétitions acharnées, souvent remportées par Lin Dong Fang, autre restaurant du quartier de Zhongshan, à Taipei. Son secret : un condiment à base de graisse de bœuf pimentée.
Mais c’est d’abord dans la rue que la cuisine taïwanaise palpite. Celle de Dihua Street, considérée comme une des plus anciennes de Taipei, aligne les boutiques spécialisées dans les produits séchés. Fruits, plantes, algues, champignons, crevettes, noix de pétoncles, méduses, calamars aux odeurs d’iode boucané, mais aussi les très onéreux nids d’hirondelles, ailerons de requin, œufs de mulet dans leur gangue de cire (la recherchée poutargue locale), vendus dans ce qui ressemble à des bijouteries… Comme souvent en Chine, la pharmacopée côtoie le garde-manger.

Vendeuse de papayes et sa coiffe traditionnelle, à Tainan.


Vendeuse de papayes et sa coiffe traditionnelle, à Tainan. Stéphane Davet

C’est aussi vrai dans les multiples marchés de produits frais, souvent abrités sous une vieille halle, où la vie paysanne semble résister à la modernité. Celle au coin de Shennong Street et Hai-an Road, dans le quartier de West Central, à Tainan, regorge de fruits subtropicaux et de légumes vendus par des dames aux coiffes traditionnelles. Crus, laqués, frits ou pochés dans la sauce soja, porc et volailles (dont un troublant poulet à peau noire) exposent d’appétissantes promesses.

Tapas ou ça poisse

La variété colorée et la fraîcheur des coquillages, mollusques, crustacés et poissons pêchés dans cette ville portuaire impressionnent. La plupart frétillent encore, au point d’être parfois entravés par des liens. Long poisson d’eau douce argenté, le milk fish est l’un des plus appréciés, mais sa chair farcie d’arêtes demande de la dextérité pour en lever les filets. Les poissonniers s’y affairent sur des billots de bois. Le ventre moelleux du « poisson lait » est la partie la plus prisée. Chez Zhu Xin Ju, un des plus raffinés restaurants de Tainan, dont la maison centenaire se cache dans la ruelle de Xin Yi Road, on le sert avec du tofu, de l’ananas frais, de la ciboule et du piment, surmonté d’un émincé de jeune gingembre cru.


Crevettes, poissons, coquillages… beaucoup d’échoppes vendent des produits de la mer.
Crevettes, poissons, coquillages… beaucoup d’échoppes vendent des produits de la mer. Stéphane Davet

Aux longs menus, les Taïwanais préfèrent souvent le picorage de xiaochi, ces en-cas à dévorer sur le pouce, en particulier dans les marchés de nuit qui font de l’île l’un des paradis mondiaux de la street food. Que ce soit au Wusheng Night Market de Tainan ou, à Taipei, sur Ningxia Road, dans le quartier de Datong, ou sur les 600 m de Raohe Street menant au temple surchargé d’or de Ciyou, notre appétit s’enivre de ces fêtes foraines dont les manèges seraient des stands de cuisine.
Les huîtres, moins iodées qu’en France, sont la vedette d’une populaire omelette, dont les vendeurs coupent des parts baveuses dans d’énormes poêles.
A partir de 17 h 30, les bruyantes allées grouillent de gourmands locaux et de touristes, dont beaucoup de Chinois du continent. A chaque échoppe sa spécialité et son spectacle. Beaucoup sont vouées aux produits de la mer. Crevettes, poissons, calamars sautent dans les woks ou dorent sur la braise. Les huîtres, plus sucrées et moins iodées qu’en France, sont la vedette d’une très populaire omelette, garnie de verdure et de pousses de soja. Les vendeurs en coupent les parts croustillantes et baveuses dans d’énormes poêles. Parmi les autres classiques de ces pique-niques noctambules : les gua-bao, pain vapeur farci de poitrine de porc confite, de chou vinaigré et de poudre d’arachide légèrement sucrée ; le poulet, frit après avoir été mariné ; les multiples brochettes choisies par le client avant d’être grillées ; les raviolis à la pâte de riz gluant… Certaines échoppes deviennent célèbres pour leurs créations, comme celle faisant frire de gros encornets farcis de concombre ou celle proposant d’étonnants beignets à base de purée de taro (un tubercule doux et rosé), farcis d’un œuf de canne salé et de porc séché à la consistance duveteuse.


L’omelette aux huîtres, une des nombreuses spécialités de « street food » taïwanaise.
L’omelette aux huîtres, une des nombreuses spécialités de « street food » taïwanaise. Stéphane Davet

Goûts, couleurs, bruits et parfums font saliver, mais on peut aussi brutalement caler devant l’odeur de vieille chaussette et de chou pourri du stinky tofu. Ce tofu fermenté jusqu’à devenir « puant » est chéri des locaux, en version frite, vapeur, servi avec une sauce pimentée, ou dans une soupe accompagnée de sang de canard, tripes de porc et champignons. L’expérience n’est pas toujours à la portée des narines et estomacs occidentaux.

On préférera se rafraîchir avec un lait de papaye, un bubble tea (ce thé au lait glacé aux perles de tapioca) ou l’un des multiples desserts colorés à base de gelée d’herbe ou de fruit, garni de glace râpée, de lait de coco ou de sirop de prune acidulé. Dernière touche sucrée d’un festin sans fin.


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