L’ouverture à Taipei d’un Atelier de Joël Robuchon en novembre 2009, dans le très chic centre commercial Bellavita, en plein cœur des nouveaux quartiers de l’est, a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Si des grandes toques françaises officient parfois pendant quelques semaines dans l’île à l’invitation des grands hôtels, c’est la première fois en effet que l’une d’entre elles fait le pari d’une implantation à Taipei. Beaucoup ont voulu y voir le signe que la capitale s’est suffisamment internationalisée pour accueillir une maison d’un tel prestige. D’autres suivront, croit-on savoir dans les milieux informés en annonçant par exemple l’arrivée d’une enseigne Yannick Alleno courant 2011. Des frémissements qui font saliver les gastronomes taiwanais.
Les restaurants français ne manquent pourtant pas à Taiwan, et dans l’univers culinaire des Taiwanais, la cuisine française n’est pas ressentie comme la plus exotique. Dans certains quartiers, on compte quatre ou cinq « restaurants français » au kilomètre carré, preuve que cette offre est particulièrement attirante. Toutefois, l’expression « cuisine française » regroupe ici des réalités très diverses – on est tenté d’utiliser le mot « mythe » – qui auraient peut-être inspiré à Roland Barthes de savoureuses analyses. C’est que les vraies saveurs françaises restent assez méconnues du Taiwanais moyen qui continue par exemple de croire que le « pain français » doit absolument être tartiné de beurre aillé et repassé au four, ou que la salade doit être noyée de mayonnaise au ketchup. Il n’empêche qu’une belle clientèle de gourmets commence à prendre corps, à la faveur de l’ouverture toujours plus large de Taiwan aux influences étrangères. Les Taiwanais voyagent davantage qu’autrefois, ont les moyens de se faire plaisir et deviennent par conséquent plus exigeants.
Initiations
« Tout a commencé à la fin des années 80 au Ritz [rebaptisé depuis Landis], avec Jean-Claude Herchembert », se souvient Bernard Noël, aujourd’hui chef des cuisines à l’hôtel Formosa Regent. Lui-même fit un premier séjour à Taiwan en 1989, après notamment un passage apprécié à la Tour d’argent de Paris puis l’ouverture d’un restaurant pour la même enseigne à Tokyo en 1984. Taiwan émergeait alors à peine de plusieurs décennies d’isolement diplomatique et de loi martiale. « A l’époque, nous avions très peu de produits importés à notre disposition. La viande arrivait congelée… On faisait ce qu’on pouvait », lâche-t-il, laconique. Au départ, Jean-Claude Herchembert proposera donc plutôt une cuisine régionale destinée en priorité à la clientèle expatriée de Taipei. Par la suite, grâce à lui, le Ritz opérera une montée en gamme, avec le Paris 1930. Même chose au Sheraton, où Bernard Noël est recruté en 2004 pour reprendre le restaurant français Chez Antoine, lequel est alors déjà une valeur sûre.
Aujourd’hui, dit le chef haut-marnais, la grande gastronomie française est représentée par L’Atelier de Joël Robuchon bien sûr, mais aussi Villa 32 ou encore le Paris 1930 pour ce qui est des restaurants hébergés par des hôtels, ainsi qu’une poignée de très bons restaurants indépendants servant une clientèle prête à mettre le prix pour une expérience culinaire sophistiquée. La « province » elle aussi a sa communauté de gastronomes aisés qui se pressent par exemple à La Maison à Kaohsiung ou chez Le Moût à Taichung. Cela dit, il faut bien reconnaître, reprend Bernard Noël, que proposer de la gastronomie française à Taiwan reste « difficile… ».
Auteur:Laurence Marcout
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