02 octobre 2009

Le quotidien d’un petit français de Taiwan scolarisé dans une école taiwanaise !!

Il est 7h30 et les élèves, cartable en bandoulière, pénètrent par petits groupes dans l’enceinte de l’Ecole élémentaire Jen-Ai de Taipei. Quelques enfants en survêtement balaient la cour, pendant que des grands, munis de fanions, font traverser la rue à leurs petits camarades. Il y a aussi ceux que les entraînements sportifs obligent à être un peu plus matinaux. Ils s’exercent dans la cour intérieure ou dans les salles de gym. En scrutant bien cette foule de garçons et de filles en uniforme, on remarque quelques chevelures moins foncées, et oui, une ou deux têtes carrément blondes.
C’est par exemple le cas de Joseph. Le teint clair et le bout du nez légèrement piqué de taches de rousseur, Joseph, le petit Français, détonne mais cela ne l’empêche pas d’être très à l’aise. C’est un enfant parmi d’autres.
Joseph L. est sans doute un pionnier en son genre : il fait partie de l’infime minorité d’enfants n’ayant pas de sang chinois qui sont scolarisés dans le système taiwanais depuis la maternelle. Ses parents, Dominique et Laurence L., arrivés à Taiwan il y a une vingtaine d’années avec une bourse d’études, ont fait le choix assez rare pour un couple franco-français de s’installer ici pour de bon et d’élever leurs deux enfants dans les deux cultures, la leur et celle de leur pays d’adoption.
En fait, explique Laurence L., au départ, la question ne se s’est pas posée dans ces termes. L’aîné, Simon, a eu une nounou taiwanaise qui ne lui parlait que le chinois, à la demande expresse de ses parents. Quand il a été en âge scolaire, la première impulsion de la famille a néanmoins été de le mettre à l’Ecole française de Taipei, au moins pour quelques années, afin de lui donner des bases solides dans sa langue maternelle. Mais les difficultés rencontrées par Simon dans son nouvel environnement, alors qu’il se sentait peut-être ballotté entre deux cultures, les ont forcés à revoir leurs options lorsque le tour de Joseph est venu.
Scolarisé en chinois depuis la maternelle, Joseph est bien dans ses baskets. Comme tous les garçons de son âge, il aime rigoler avec les copains et il avoue se bagarrer un peu avec son grand frère. Sa bête noire, c’est l’anglais.
Ce jour-là, l’instituteur Huang Bing-yen fait la classe de math sur les unités demesure des liquides. Hectolitres, litres, décilitres, millilitres « Qu’est-ce que tu utilises pour dire combien d’eau tu bois par jour ? Des hectolitres ? » La classe éclate de rire. Les élèves font leurs exercices de conversion, puis se mettent en file indienne devant le bureau de « maître Huang » pour qu’il corrige. Ça se bouscule en chuchotant. Certains dansent d’un pied sur l’autre, inquiets. D’autres, plus sûrs d’eux, se lancent des regards goguenards. Joseph suit sans problème, coche les réponses sur son cahier d’exercices ou écrit quelques lignes de caractères chinois d’une main assurée.
Alors, Joseph est-il heureux dans cette école ? « Oui, oui », répond-il timidement en français. Mais, se sent-il Français ou Taiwanais ? « Moitié Français, moitié Taiwanais », dit-il avec circonspection, avant d’ajouter tout bas « peut-être un peu plus Taiwanais ».
Comme tous les Taiwanais de son âge, Joseph a de lourdes journées, ponctuées d’exercices et d’interrogations. A midi, sa mère lui apporte son biandang sa boîte-repas. « Mais la cantine est très correcte. » Après la classe, à 16h, il rentre goûter à la maison, fait ses devoirs, puis c’est l’heure du dîner en famille. Après, avec son frère, il descend les poubelles et, s’il lui reste un moment, il va faire du vélo dans le quartier. « Ces jours-ci, j’ai moins de temps libre parce que je commence le piano. Et puis parfois, les devoirs, c’est très long. »
Si les journées de Joseph sont chargées, c’est aussi parce que sa maman lui donne des cours de français. Elle a négocié avec l’école de le faire exempter de matières que, pour l’heure, elle juge secondaires la musique, les travaux manuels ou encore l’informatique pour récupérer quelques heures sur la semaine à consacrer à l’étude de sa langue maternelle. Résultat, Joseph est « complètement bilingue », souligne Laurence L.


Ainsi, les jeunes années de Joseph s’écoulent dans une douce insouciance, peut-être parce que Jen-Ai n’est pas tout à fait une école taiwanaise comme les autres, malgré ses murs un peu défraîchis.
L’établissement, qui dispose aussi d’une maternelle, compte quelque 3 300 élèves pour 184 professeurs. Le ratio est donc de 1,7 professeurs par classe de trente élèves, comme c’est la règle. Mais ce qui a plu à Laurence L., c’est le parti pris à Jen-Ai de faire participer les parents le plus possible à la vie scolaire. Ainsi, tôt le matin, alors que les professeurs participent à une réunion pédagogique ou traitent certaines affaires administratives, des parents viennent bénévolement surveiller la classe ou l’animer, en racontant des histoires, en faisant réciter aux plus jeunes des vers en trois caractères du Sanzijing un classique poétique de la morale chinoise en leur donnant des cours d’anglais, de japonais, de chant, selon leurs aptitudes.
L’école dispose aussi d’une « classe de ressources » une salle ouverte à tous les enfants nécessitant un soutien ou une attention particulière. Plusieurs enfants malvoyants ou aveugles sont scolarisés à Jen-Ai, et si nécessaire, ils peuvent suivre des cours particuliers dans cette classe équipée d’un matériel pédagogique adapté, avec des enseignements spécialisés.
Cette classe, dit Daly Chang, qui ce jour-là reprend une leçon d’algèbre avec deux élèves ayant des difficultés de concentration, répond à la nouvelle politique d’intégration à la vie scolaire pour les enfants souffrant d’un handicap. Une cinquantaine d’écoliers au total fréquentent régulièrement la « classe de ressources » où ils se rendent le plus souvent de leur propre initiative.
Même qualité d’écoute dans la section qui accueille les élèves particulièrement brillants. Dans une des classes, quelques-uns d’entre eux qui, la majeure partie du temps, suivent les cours avec les autres camarades de leur âge, sont en train de mettre la dernière main à leur autobiographie illustrée, qu’ils ont gravée sur un cédérom après avoir conçu eux-même le logiciel d’exploitation de ces informations. Dans la classe voisine, six jeunes adolescents suivent un cours très poussé sur les empreintes digitales.
On ne compte pas moins de 92 surdoués cette année à Jen-Ai. Ce chiffre, très élevé, est en forte augmentation par rapport aux années précédentes, un phénomène que Kuo Su-hsiang, l’enseignante en charge de ce département, attribue à l’attitude des parents. Ceux-ci, dit-elle, font aujourd’hui davantage pour développer les aptitudes de leurs enfants.


D’une manière générale, l’atmosphère est détendue et bon enfant dans cette école dont les dimensions restent raisonnables. Pour Laurence L., voir son fils heureux est le plus important.
L’expérience a en effet été très différente pour Simon, son premier fils, qui a été à l’Ecole française de Taipei de 9 à 11 ans. Pour lui éviter de perdre ses acquis en chinois, ses parents l’avaient inscrit à des cours du soir dans un institut de langue réputé. Mais quelque chose semblait manquer au jeune garçon dont le chinois s’est tout de même mis à régresser sans pour autant qu’il s’épanouisse en français. Simon a finalement retrouvé l’équilibre, raconte sa mère, dans une école anglophone, la Yangmingshan Christian School. « Il s’agit d’une école montée par des adventistes, mais les cours sont donnés par des laïcs. Simon s’y est très bien adapté, et maintenant il parle couramment l’anglais. Comme l’atmosphère lui convenait mieux, il a retrouvé son assurance. Son français s’est amélioré, et son chinois aussi. »
Cela dit, la question de la langue mise à part, Laurence L. reconnaît que les charges de la scolarisation à l’Ecole française de Taipei devenaient insupportables. Cet établissement privé faisant aujourd’hui partie d’un en semble appelé Ecole européenne de Taipei (résultat d’une fusion entre les trois écoles française, allemande et britannique) pratique en effet des tarifs qui peuvent être rédhibitoires pour les familles ne bénéficiant pas des avantages des personnels détachés par une grande entreprise. Une bourse de l’Etat français peut être demandée, mais elle couvre rarement l’ensemble des frais.
Le choix de la langue de scolarisation repose sur quantité de facteurs qui n’ont pas forcément la même pondération pour toutes les familles à commencer bien sûr par les ressources disponibles. Finalement, ainsi que le souligne Patrick Layet, le directeur de l’Ecole française de Taipei, le statut des différentes langues parlées au sein du foyer fait souvent la différence. Entrent aussi en ligne de compte les projets professionnels des parents qui souhaiteront bien évidemment préparer leurs enfants autant que possible à l’environnement de leur prochaine affectation.
Pour la famille L. qui s’est installée ici sur le long terme, le chinois a toujours semblé aussi important que le français, sans doute parce qu’eux-mêmes parlent cette langue couramment.
Mais Simon a aujourd’hui 17 ans, et bientôt il faudra que ses parents fassent à nouveau des choix difficiles. Il poursuit actuellement ses années de lycée à l’Ecole dominicaine, en anglais toujours. N’envisageant pas à priori de le diriger vers une université taiwanaise, ses parents réfléchissent à l’option préférée de l’intéressé : une fac américaine. « Nous n’avons pas les moyens de l’envoyer aux Etats-Unis, dit Laurence L. Mais une fac américaine en France, peut-être que c’est possible. »
Elle explique avoir envisagé de retourner s’installer seule en France avec ses deux enfants dans cette perspective avant la rentrée de septembre. Simon pourrait même essayer de passer le bac pour s’assurer l’accès aux écoles et universités françaises aussi. Quant à Joseph, il réintégrerait le système français.
Mais après mûre réflexion, la famille a décidé de préserver l’unité familiale le plus longtemps possible. Simon terminera donc le lycée ici en anglais, peut-être à la Yangmingshan Christian School qui dès la rentrée prochaine proposera un cursus de high school. Quant à Joseph, il continuera sa scolarité en chinois au moins un ou deux ans. « Ce n’est peut-être pas plus mal, commente Laurence L., puisque cela lui permettra d’acquérir un niveau supérieur en chinois écrit. »
Ensuite, l’avenir dira. Mais ce qui est sûr, c’est que Simon et Joseph auront tous les deux un bagage linguistique et culturel à nul autre pareil.


Source et photos Taiwan Mag (Delphine)

©Taiwan Aujourd'hui
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour!Bien intéressant votre article sur la scolarité des enfants. Je suis française au Portugal, bien plus proche, mais j'ai retrouvé les mêmes problèmes dans l'éducation de mes enfants. J'aurais voulu envoyer mes enfants au lycée français, mais les tarifs sont élevés pour qui est payé au tarif des locaux. Désormais le niveau en français de mes enfants n'est plus à la hauteur. Mais je ne me plains pas, ils ont un niveau d'anglais excellent. Remarque: les parents francophones n'ont pas le travail facilité par les médias: peu de chaines TV francophones, de radios (la fréquence FM de RFI fait la place à du jazz 24h/24). Mais une chose est sûre, en luttant pour être pluri-culturel, on se rapproche de notre humanité, et de la tolérance.Salut !
Catherine